Burn-out - Fauchée en plein vol (1/2) : Chronique d'un effondrement ordinaire
Estelle est debout devant la porte, portant ses dossiers dans les bras.
Un moment plus tôt, elle était encore calmement assise face à son patron.
Elle s’est bizarrement sentie un peu distraite de la conversation, ce qui l’a contrariée. Elle a d’abord senti comme un bourdonnement monter dans ses oreilles, puis sa gorge s’est asséchée d’un coup, et quelque chose comme un signal d’alarme s’est allumé en elle.
Une pensée s’est imprimée dans son cerveau, nette, claire et surtout impérative, et elle a entendu comme une voix intérieure lui crier : Va-t’en !
Elle s’est forcée à prendre lentement en mains ses dossiers encore bien ordonnés et envisagé de se lever pour mettre un terme à cet horrible entretien. Pourtant, en pleine confusion, elle a hésité, craignant encore la réaction de son patron.
Celui qui venait de lui annoncer sans ménagement la suppression de son poste.
Mais ses oreilles ont bourdonné de plus en plus fort. L’air lui a manqué, elle s’est sentie étouffer, et quelque chose s’est passé à l’intérieur d’elle, mais elle ne savait pas quoi.
Elle voulait juste retrouver le calme de son bureau pour essayer de respirer à nouveau.
Alors elle s’est arraché un sourire d’excuses, elle a ravalé le flot de colère et de haine qui montaient en elle, et finalement bredouillé quelque chose avant de se lever poliment, ses dossiers dans les bras. Ceux que son patron avait fait semblant de vouloir examiner avec elle. Ceux pour lesquels elle avait tant donné d’elle-même.
Mais en marchant vers la porte, ses dossiers dans les bras, elle a comme vacillé sur ses talons. Pas à cause de ses talons (elle maîtrise bien, depuis le temps, la torture qu’ils lui imposent), mais à cause des sifflements dans ses oreilles, si puissants qu’elle ne s’entend plus parler. Ni son patron lui répondre.
La pièce tourne autour d’elle, à une vitesse croissante. Elle a encore conscience de ses dossiers qui s’éparpillent, elle voit s’envoler toutes ses heures de travail consignées sur ces feuilles qui glissent et s’étalent comme des pétales blancs sur la moquette rouge sombre du bureau de son patron.
Ses yeux se sont déjà fermés.
Elle ne gardera aucun souvenir de la violence de sa chute lorsque l’arrière de sa tête heurtera lourdement le sol. Tout juste une grosse bosse.
Estelle ne le sait pas encore, mais elle vient de s’effondrer, énième victime de ce que l’on nomme un burn-out, dans sa phase ultime.
(A suivre : « Burn-out - Fauchée en plein vol - Chronique d’une reconstruction réussie »
https://www.pascale-agazzi.fr/burn-out-fauchee-en-plein-vol-2/2-chronique-d-une-reconstruction-reussie)